Être malade n’empêche pas, bien heureusement, de faire de belles rencontres et de tomber amoureux. Toutefois la maladie peut freiner la spontanéité des élans et peser sur la relation, notamment au moment de la délicate question de l’annonce au partenaire. Faut-il le dire ? Comment en parler ? Des questions auxquelles il est bien difficile de répondre de manière binaire.
Bruno
(1) est malade depuis 2006. Divorcé, il n’imaginait pas rester seul. Il résume
bien la complexité de la situation à laquelle il est confronté au moment de la
rencontre : « Le cancer est une
maladie à géométrie variable qui, chez moi, ne se traduit pas par des signes
physiques. Au moment où j’ai rencontré Valérie, j’étais super bronzé et je
faisais beaucoup de sport. Quand je lui ai dit que j’étais malade, elle ne m’a
pas cru ».
L’année
dernière, Sophie (2) a subi l’ablation d’un sein. Elle a rencontré son ami
actuel grâce à Internet. Ils ont échangé longtemps par mail avant de se voir.
Après la deuxième rencontre, elle a senti qu’il était important d’en parler. « Je dois faire face à deux difficultés :
le risque de rechute et l’ablation du sein. Je peux comprendre que cela puisse
être un frein dans la relation. J’avais besoin de savoir comment il allait
réagir. Il m’a simplement répondu : l’asymétrie peut être belle ».
Ces mots, que j’ai trouvé forts et beaux, m’ont vraiment rassurée ».
Après
plusieurs années de célibat, Carole a fait une belle rencontre. Un mois plus
tard, son gynécologue lui diagnostiquait un cancer du sein. « Quand je l’ai appris, j’ai dit à mon
ami : il vaut mieux qu’on arrête maintenant. Il m’a répondu: « Je
vais te soutenir, je serai là ». Il n’a pas fui la situation et ne m’a
jamais laissée tomber. J’ai été très surprise par sa réaction. »
Trois
personnes. Trois situations singulières qui illustrent bien la complexité des
enjeux que la rencontre fait émerger lorsque l’un des partenaires est malade. Ces
témoignages soulignent aussi la difficulté à aborder la question de l’annonce. « Cela dépend de tellement de
facteurs qu’on ne peut pas donner de conseils. Il n’existe pas de mode
d’emploi », explique Isabelle Sarfati, médecin cancérologue à
l’Institut du Sein (3).
L’âge,
le type de cancer, l’existence ou non de séquelles physiques, les incidences
possibles sur la sexualité sont autant de variables à prendre en compte lorsque
se pose la question d’annoncer ou de taire la maladie à son partenaire. « Parler du cancer, c’est parler d’une
épreuve qu’on a vécu et, d’une certaine manière, c’est aussi parler de la mort,
parce que la maladie nous confronte à cette question. Cela va colorer la
rencontre », précise le Dr Sarfati.
On s’en doute aussi : plus la maladie prend de la place au quotidien,
plus il est difficile d’éluder les questions ou de la cacher à son partenaire. « On n’en parle pas de la même manière
si cela s’est passé il y a 15 ans ou si c’est présent au moment de la rencontre.
D’ailleurs, si l’épisode remonte à un certain temps, on peut se demander si
c’est vraiment nécessaire d’aborder ce sujet ».
Les
attentes que l’on fait porter sur la relation et le type de rencontres qu’on
choisit de vivre seront aussi déterminants sur la décision d’en parler ou non
au partenaire. « S’il s’agit d’une
aventure sans lendemain, une femme qui a été opérée peut très bien dire :
« Je préfère garder mon soutien-gorge ». Elle ne se sentira pas
obligée d’aller plus loin dans les confidences », explique le Dr
Sarfati. En revanche, quand la confiance s’établit et que l’envie de construire
une relation plus suivie se manifeste, la question se pose d’une autre manière.
Sophie raconte : « Pendant mon
traitement, j’ai rencontré un homme. Nous nous sommes vus trois fois. Je ne lui
en ai pas parlé parce que je sentais que ça n’irait pas plus loin. En revanche,
quand je ressens qu’il peut y avoir une relation plus sérieuse, c’est
différent. Je me pose la question du moment opportun pour évoquer la
maladie ».
L’intimité délie les langues
La
question de la sexualité intervient alors de manière impérieuse dans la
décision d’en parler. Ou pas. En effet, les stigmates de la maladie peuvent
venir troubler l’harmonie sexuelle et générer un malaise du côté des deux
partenaires. « Si les femmes qui ont
été opérées d’un cancer du sein ne préviennent pas leur partenaire, cela peut
créer un choc assez traumatisant pour l’homme », souligne le psychologue
Norbert Zerah.
Depuis
son opération du sein, Sophie suit un traitement hormonal qui a occasionné
beaucoup d’effets secondaires. « J’avais
l’impression d’avoir pris plusieurs années d’un seul coup et j’avais beaucoup
d’appréhensions au niveau sexuel. Comment mon allais-je réagir ? Comment
mon partenaire allait-il percevoir mon corps ? Un homme peut dire que la
maladie ne lui pose pas de problème, mais à la vue du sein manquant, il peut
changer d’avis. Je lui ai demandé s’il voulait que je mette une prothèse ou une
chemise. Finalement, tout s’est bien passé et de façon assez naturelle ».
Rappelons
aussi que les chimiothérapies modifient les odeurs corporelles et qu’un
partenaire peut y être sensible. Sans compter la fatigue et la baisse de libido
que la maladie ou les traitements peuvent entraîner. Enfin, dans le cas des
femmes qui ont subi une mastectomie, la sexualité peut prendre une forme
d’inquiétante étrangeté. « Certaines
femmes appréhendent leur cicatrice comme une morsure de la mort. La coexistence
de ces images morbides avec la volupté rend la sexualité difficile à
vivre », explique le Dr Sarfati. Pour toutes ces raisons, il est
préférable d’aborder ces difficultés dans l’ouverture et le dialogue, avant
d’envisager le rapprochement physique, plutôt que de laisser les non-dits et le
malaise s’installer.
Les mots pour le dire
Trouver
les bons mots sans effrayer son partenaire n’est pas chose aisée. Là encore, il
n’existe pas de réponse simple et univoque. Sophie a choisi d’en parler d’une
manière franche et directe « pour
susciter une réaction, quitte à ce que ce soit un rejet », mais se demande
si c’est la juste attitude à adopter : « Si
les choses sont amenées plus progressivement et en douceur, le partenaire
acceptera peut-être la réalité plus facilement ». Une autre approche
possible : évoquer la maladie de façon détournée. C’est ce que fait Bruno
lorsqu’il rencontre une femme qui lui plait. « Lorsque j’invite une femme à dîner, je décide d’en parler à la
fin du repas en ayant fait avant des allusions indirectes à la maladie dans la
conversation », explique t-il. On peut ainsi aborder le sujet d’une
manière indirecte en évoquant le cas d’une personne de son entourage et de demander
à l’autre ce qu’il en pense. Une approche que recommande le psychothérapeute
Norbert Zerah : « C’est une
manière de tâter le terrain tout en se protégeant de la violence d’un éventuel
rejet ».
Derrière les silences bavards, les
peurs et les angoisses s’expriment
Parler
de sa maladie à la personne qu’on vient de rencontrer, c’est exposer sa
vulnérabilité. C’est se colleter à
la peur du rejet et aux blessures que celui-ci pourrait raviver. D’une manière
frontale. « On peut vous quitter
pour moins que ça dans nôtre société actuelle où le paraître a une telle
importance », rappelle Bruno. Cette peur du rejet peut être si
prégnante que certaines personnes préféreront anticiper une rupture plutôt que
de s’y confronter. « Quand j’ai vécu
une rechute en 2009, j’ai dit à ma petite amie: « On va rentrer dans
quelque chose de difficile. Je vais être tout le temps fatigué. Je lui ai
proposé de partir. A ma grande surprise, elle a choisi de rester »,
raconte Bruno. Anxiogène, l’ignorance face à la réaction du partenaire favorise
toutes les projections possibles. Comment va t-il réagir ? Ce que je vis
va peut-être lui rappeler une situation difficile déjà vécue ou générer un
tel sentiment d’impuissance qu’il prendra la fuite ?
En
parler permet donc de se rassurer face à cette peur, parfois fantasmée et
projetée sur l’autre de manière inconsciente. Car si les réactions de fuite
existent, dans la plupart des cas, le partenaire accepte la situation en
faisant preuve de compréhension, de bienveillance et de délicatesse. D’une
certaine manière, la maladie intervient ainsi dans le choix des partenaires
potentiels. Cette personne est-elle dans l’être ou le paraître ? Une
question à se poser quand on vient de faire une rencontre avant de s’ouvrir
davantage. Même si le jeu de séduction peut garder toute sa place, ce sont les
qualités humaines et les valeurs de la personne qui séduiront. « Les personnes qui peuvent être à même
d’aimer et de soutenir leur partenaire dans le cas d’un cancer sont celles qui
ne font pas passer leurs pulsions immédiates avant leurs valeurs », confirme
Norbert Zerah.
Si
la maladie peut compliquer la relation et lui donne une saveur particulière,
elle ne constitue donc pas pour autant un frein aux rencontres amoureuses. « Le cancer fait davantage exploser les
couples établis de longue date que les couples en formation. Probablement parce
que dans une dynamique relationnelle nouvelle, le cancer est plus facile à
appréhender. Alors que chez les couples établis, il peut démolir l’édifice
sur lequel le couple s’est construit », conclut le Dr Sarfati.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire