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vendredi 26 avril 2013

Quand le cancer tient la chandelle - Article publié sur le site La Maison du Cancer


Être malade n’empêche pas, bien heureusement, de faire de belles rencontres et de tomber amoureux. Toutefois la maladie peut freiner la spontanéité des élans et peser sur la relation, notamment au moment de la délicate question de l’annonce au partenaire. Faut-il le dire ? Comment en parler ? Des questions auxquelles il est bien difficile de répondre de manière binaire.

Bruno (1) est malade depuis 2006. Divorcé, il n’imaginait pas rester seul. Il résume bien la complexité de la situation à laquelle il est confronté au moment de la rencontre : « Le cancer est une maladie à géométrie variable qui, chez moi, ne se traduit pas par des signes physiques. Au moment où j’ai rencontré Valérie, j’étais super bronzé et je faisais beaucoup de sport. Quand je lui ai dit que j’étais malade, elle ne m’a pas cru ».

L’année dernière, Sophie (2) a subi l’ablation d’un sein. Elle a rencontré son ami actuel grâce à Internet. Ils ont échangé longtemps par mail avant de se voir. Après la deuxième rencontre, elle a senti qu’il était important d’en parler. « Je dois faire face à deux difficultés : le risque de rechute et l’ablation du sein. Je peux comprendre que cela puisse être un frein dans la relation. J’avais besoin de savoir comment il allait réagir. Il m’a simplement répondu : l’asymétrie peut être belle ». Ces mots, que j’ai trouvé forts et beaux, m’ont vraiment rassurée ».

Après plusieurs années de célibat, Carole a fait une belle rencontre. Un mois plus tard, son gynécologue lui diagnostiquait un cancer du sein. « Quand je l’ai appris, j’ai dit à mon ami : il vaut mieux qu’on arrête maintenant. Il m’a répondu: « Je vais te soutenir, je serai là ». Il n’a pas fui la situation et ne m’a jamais laissée tomber. J’ai été très surprise par sa réaction. »

Trois personnes. Trois situations singulières qui illustrent bien la complexité des enjeux que la rencontre fait émerger lorsque l’un des partenaires est malade. Ces témoignages soulignent aussi la difficulté à aborder la question de l’annonce. « Cela dépend de tellement de facteurs qu’on ne peut pas donner de conseils. Il n’existe pas de mode d’emploi », explique Isabelle Sarfati, médecin cancérologue à l’Institut du Sein (3).



L’âge, le type de cancer, l’existence ou non de séquelles physiques, les incidences possibles sur la sexualité sont autant de variables à prendre en compte lorsque se pose la question d’annoncer ou de taire la maladie à son partenaire.  « Parler du cancer, c’est parler d’une épreuve qu’on a vécu et, d’une certaine manière, c’est aussi parler de la mort, parce que la maladie nous confronte à cette question. Cela va colorer la rencontre », précise le Dr Sarfati. On s’en doute aussi : plus la maladie prend de la place au quotidien, plus il est difficile d’éluder les questions ou de la cacher à son partenaire. « On n’en parle pas de la même manière si cela s’est passé il y a 15 ans ou si c’est présent au moment de la rencontre. D’ailleurs, si l’épisode remonte à un certain temps, on peut se demander si c’est vraiment nécessaire d’aborder ce sujet ».

Les attentes que l’on fait porter sur la relation et le type de rencontres qu’on choisit de vivre seront aussi déterminants sur la décision d’en parler ou non au partenaire. « S’il s’agit d’une aventure sans lendemain, une femme qui a été opérée peut très bien dire : « Je préfère garder mon soutien-gorge ». Elle ne se sentira pas obligée d’aller plus loin dans les confidences », explique le Dr Sarfati. En revanche, quand la confiance s’établit et que l’envie de construire une relation plus suivie se manifeste, la question se pose d’une autre manière. Sophie raconte : « Pendant mon traitement, j’ai rencontré un homme. Nous nous sommes vus trois fois. Je ne lui en ai pas parlé parce que je sentais que ça n’irait pas plus loin. En revanche, quand je ressens qu’il peut y avoir une relation plus sérieuse, c’est différent. Je me pose la question du moment opportun pour évoquer la maladie ».

L’intimité délie les langues

La question de la sexualité intervient alors de manière impérieuse dans la décision d’en parler. Ou pas. En effet, les stigmates de la maladie peuvent venir troubler l’harmonie sexuelle et générer un malaise du côté des deux partenaires. « Si les femmes qui ont été opérées d’un cancer du sein ne préviennent pas leur partenaire, cela peut créer un choc assez traumatisant pour l’homme », souligne le psychologue Norbert Zerah.
Depuis son opération du sein, Sophie suit un traitement hormonal qui a occasionné beaucoup d’effets secondaires.  « J’avais l’impression d’avoir pris plusieurs années d’un seul coup et j’avais beaucoup d’appréhensions au niveau sexuel. Comment mon allais-je réagir ? Comment mon partenaire allait-il percevoir mon corps ? Un homme peut dire que la maladie ne lui pose pas de problème, mais à la vue du sein manquant, il peut changer d’avis. Je lui ai demandé s’il voulait que je mette une prothèse ou une chemise. Finalement, tout s’est bien passé et de façon assez naturelle ».
Rappelons aussi que les chimiothérapies modifient les odeurs corporelles et qu’un partenaire peut y être sensible. Sans compter la fatigue et la baisse de libido que la maladie ou les traitements peuvent entraîner. Enfin, dans le cas des femmes qui ont subi une mastectomie, la sexualité peut prendre une forme d’inquiétante étrangeté. « Certaines femmes appréhendent leur cicatrice comme une morsure de la mort. La coexistence de ces images morbides avec la volupté rend la sexualité difficile à vivre », explique le Dr Sarfati. Pour toutes ces raisons, il est préférable d’aborder ces difficultés dans l’ouverture et le dialogue, avant d’envisager le rapprochement physique, plutôt que de laisser les non-dits et le malaise s’installer.

Les mots pour le dire

Trouver les bons mots sans effrayer son partenaire n’est pas chose aisée. Là encore, il n’existe pas de réponse simple et univoque. Sophie a choisi d’en parler d’une manière franche et directe « pour susciter une réaction, quitte à ce que ce soit un rejet », mais se demande si c’est la juste attitude à adopter : « Si les choses sont amenées plus progressivement et en douceur, le partenaire acceptera peut-être la réalité plus facilement ». Une autre approche possible : évoquer la maladie de façon détournée. C’est ce que fait Bruno lorsqu’il rencontre une femme qui lui plait. « Lorsque j’invite une femme à dîner, je décide d’en parler à la fin du repas en ayant fait avant des allusions indirectes à la maladie dans la conversation », explique t-il. On peut ainsi aborder le sujet d’une manière indirecte en évoquant le cas d’une personne de son entourage et de demander à l’autre ce qu’il en pense. Une approche que recommande le psychothérapeute Norbert Zerah : « C’est une manière de tâter le terrain tout en se protégeant de la violence d’un éventuel rejet ».

Derrière les silences bavards, les peurs et les angoisses s’expriment

Parler de sa maladie à la personne qu’on vient de rencontrer, c’est exposer sa vulnérabilité. C’est se colleter  à la peur du rejet et aux blessures que celui-ci pourrait raviver. D’une manière frontale. « On peut vous quitter pour moins que ça dans nôtre société actuelle où le paraître a une telle importance », rappelle Bruno. Cette peur du rejet peut être si prégnante que certaines personnes préféreront anticiper une rupture plutôt que de s’y confronter. « Quand j’ai vécu une rechute en 2009, j’ai dit à ma petite amie: « On va rentrer dans quelque chose de difficile. Je vais être tout le temps fatigué. Je lui ai proposé de partir. A ma grande surprise, elle a choisi de rester », raconte Bruno. Anxiogène, l’ignorance face à la réaction du partenaire favorise toutes les projections possibles. Comment va t-il réagir ? Ce que je vis va peut-être lui rappeler une situation difficile déjà vécue ou générer un tel sentiment d’impuissance qu’il prendra la fuite ?

En parler permet donc de se rassurer face à cette peur, parfois fantasmée et projetée sur l’autre de manière inconsciente. Car si les réactions de fuite existent, dans la plupart des cas, le partenaire accepte la situation en faisant preuve de compréhension, de bienveillance et de délicatesse. D’une certaine manière, la maladie intervient ainsi dans le choix des partenaires potentiels. Cette personne est-elle dans l’être ou le paraître ? Une question à se poser quand on vient de faire une rencontre avant de s’ouvrir davantage. Même si le jeu de séduction peut garder toute sa place, ce sont les qualités humaines et les valeurs de la personne qui séduiront. « Les personnes qui peuvent être à même d’aimer et de soutenir leur partenaire dans le cas d’un cancer sont celles qui ne font pas passer leurs pulsions immédiates avant leurs valeurs », confirme Norbert Zerah.

Si la maladie peut compliquer la relation et lui donne une saveur particulière, elle ne constitue donc pas pour autant un frein aux rencontres amoureuses. « Le cancer fait davantage exploser les couples établis de longue date que les couples en formation. Probablement parce que dans une dynamique relationnelle nouvelle, le cancer est plus facile à appréhender. Alors que chez les couples établis, il peut démolir l’édifice sur lequel le couple s’est construit », conclut le Dr Sarfati.

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